Jean Moulin, alias Romanin

Le 27 mai dernier, l’entrée au Panthéon des quatre résistants Jean Zay, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Germaine Tillion a fait resurgir le fantôme de Jean Moulin (1899-1943). « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège » – le discours d’André Malraux étant considéré depuis 50 ans comme « insurpassable ». Héros de la résistance française, fondateur des Mouvements Unis de Résistance (MUR), Jean Moulin a choisi, selon les mots de Daniel Cordier, « de quitter la vie par le haut, c’est-à-dire dans le silence suicidaire ».

Si sa passion pour l’art est souvent évoquée, ses talents d’artiste – caricatures, dessins humoristiques, gravures – sont largement moins connus du grand public. Commençant à dessiner dès sa prime enfance, Jean Moulin publie des dessins à l’âge de 16 ans dans des revues satiriques parisiennes. Il expose en 1922 au Salon de la société savoisienne des beaux-arts sous le pseudonyme de Romanin – 20 ans plus tard la galerie niçoise qui lui servira de couverture pend6tag_290615-204010ant la guerre portera ce même nom. Sous-préfet à Châteaulin – c’est alors le plus jeune sous-préfet de France – il se passionne pour la poésie de Tristan Corbière (1845-1875) et décide d’illustrer les poèmes d’Armor, l’un des recueils faisant partie des Amours jaunes. Sur la 7e planche consacrée au poème intitulé Cris d’aveugle, Jean Moulin dessine dans un style expressionniste un cadavre cloué sur une croix. La dernière planche illustre La Pastorale de Conlie, poème qui a pour sujet un épisode tragique de la guerre franco-prussienne de 1870. Dans une fosse commune s’en6tag_290615-203918tassent des corps décharnés d’hommes et de femmes. En découvrant cette gravure, on ne peut s’empêcher de se demander si Jean Moulin n’a pas eu une vision prémonitoire des camps de la mort. Après la guerre, Jean Moulin aurait aimé être ministre des Beaux-Arts ou peintre, selon les dires de Daniel Cordier. Mais le destin en a voulu autrement.

Dans les coulisses des guides de voyages

Cartoville, les petits guides malins/urbains qui se déplient, font fureur depuis l’ère airbnb-Ryanair ! Le n°2 de Carto, c’est Vincent Grandferry. 6tag_290515-145354On s’est rencontrés rue Sébastien-Bottin à 23 ans, lui commençait comme auteur et moi je finissais mon stage aux guides. Aujourd’hui éditeur, Vincent a écrit pour la collection les titres de Munich, Bruxelles, Ibiza, Saint-Pétersbourg, Varsovie, Bangkok, Tokyo, Dubrovnik, Paris et Prague. Rien que ça ! Retour sur le parcours de l’éditeur le plus baroudeur de Gallimard Loisirs.

Tiphaine Cariou  Avant Cartoville, tu as été accompagnateur pour des agences de voyages pendant pas mal d’années. C’était pour qui ?
Vincent Grandferry  Surtout pour Nouvelles Frontières et Adeo. J’étais spécialisé dans les circuits dits «Expéditions». Il fallait donc être un peu débrouillard ! Cela m’a donné l’occasion de voyager au Vietnam, au Cambodge, en Birmanie, en Inde et en Indonésie. Et deux fois en Australie !

T. C.  Quel est le souvenir que tu retiens de tous ces voyages ?
V. G  Une très grosse galère ! En Inde, je m’occupais d’un groupe d’une quinzaine de personnes et gérait bien sûr tout le côté logistique, notamment le transport en rickshaw entre les gares et les hôtels. Un jour, un conducteur a décidé d’emmener deux de mes clients dans un hôtel pour qui il travaillait – le fameux backchich. Mais une fois là-bas, on les a enfermé dans une chambre ! Je suis parti en moto avec le patron de mon hôtel, on a sillonné toute la ville. Et on a fini par les retrouver.

T. C. Tu as commencé chez Cartoville en tant qu’auteur. Peux-tu nous décrire une journée type ?
V. G.  C’est une très grosse journée ! Quand tu es en repérage, tu travailles pratiquement 24h/24, et cela pendant quatre semaines environ. En moyenne, je testais 10 et 15 adresses par jour, musées, restaurants et… boîtes de nuit ! Quand tu es auteur carto, tu es également photographe ; le téléchargement et le classement des photos prend pas mal de temps. Le point positif, c’est que tu deviens incollable sur la ville où tu séjournes. A Tokyo, j’ai eu la chance de tester pléthore de restaurants et du coup de découvrir des spécialités dingues comme le fugu, le poisson dont le poison peut provoquer une mort quasi immédiate !

T. C. Tu es éditeur chez Cartoville depuis 6 ans. Quels sont les atouts de cette collection ?
V. G. Ce sont des guides typés courts séjours qui contiennent une carte dépliable par quartier, plus une sélection de sites à visiter et d’adresses. Nous sommes les seuls sur le marché ! Les titres qui se vendent le plus, ce sont ceux dédiés aux grandes villes européennes : Londres, Berlin, Rome, Barcelone, plus New York, qui est tiré à 30 000 exemplaires. Depuis que les billets d’avion ont baissé, les gens partent plus souvent en week-end. Et ils aiment le côté pratique de ce guide.

T. C. Quels sont vos titres en cours ?
V. G. Nous sommes en train de créer des Carto « famille » contenant des adresses spécifiques. Et en janvier 2016, les Cartoville Vancouver, Glasgow et Zagreb viendront grossir le catalogue.

Liberté, « la » pâtisserie-boulangerie (Ménilmontant)

Liberté, j’écris ton nom ! Tout en haut de la rue de Ménilmontant, la boulangerie-pâtisserie Liberté a ouverte en septembre dernier, investissant les locaux où a été inventée la fameuse flûte Gana – qui fait toujours les choux gras du 226 rue des Pyrénées. Sur la façad6tag_300515-164744e en brique, la signature de Benoît Castel voisine les grandes baies vitrées. Pâtissier pendant 10 ans à la Grande Epicerie du Bon Marché, le chef breton n’en est pas à son premier coup d’essai. Fort du succès de la boutique sise rue des Vinaigriers, il attire une clientèle d’initiés pour qui la qualité prime. Le pain granola – noisettes entières, cerneaux de noix et raisins – côtoie le légendaire pain du coin, façonné en grosses pièces vendues à la coupe. Son secret ? Un levain naturel cultivé sur une base de coing. Les gourmands testeront la tarte à la crème à la chantilly d’Isigny, signature du chef, ou le bobo au rhum, à la crème fouettée. Ici, les pains au chocolat et les croissants sont constitués d’un tiers de beurre. Pas mal (sauf pour les hanches) ! Surtout quand on sait que 70% des viennoiseries des boulangeries parisiennes sont industrielles. La Liberté prône une totale transparence -thème ô combien cher à notre époque -, on peut donc assister à la fabrication du pain et des gâteaux.

6tag_300515-164139La vaste salle aux murs en brique qui jouxte le coin boutique sert d’écrin le week-end à un brunch intitulé « comme à la maison ». Le concept ? Un buffet gargantuesque – prix à l’avenant. Près des fours à bois et des stères est disposée une farandole de victuailles. Côté salé, plateaux de charcuterie et de fromage, quiches, pizzas et gratin de macaronis ne font pas l’unanimité. Côté sucré, l’offre est plus pointue, de mini beignets côtoient une mousse rose fluo, et des smoothies aux recettes audacieuses se marient agréablement avec le pain granola et la confiture maison. Le coude à coude est de rigueur – plusieurs longues tables en bois participent à l’ambiance informelle du lieu. Service tip top malgré le ballet incessant des clients.

 

Liberté Ménilmontant
150 rue de Ménilmontant, Paris 20
Tél. 01 46 36 13 82
Brunch le sam. et le dim. de 12h à 16h (27 euros)

 

Rue des Rigoles, le Paris populaire de l’après-guerre

Né en 1949 à Paris, Gérard Mordillat raconte son enfance dans un deux-pièces du 222 rue des Pyrénées, dont il connaît toutes les marchandes de quatre-saisons. Des douches sur le palier, au 6e étage, la vue est imprenable sur le rocher de Vincennes… et le four du Père-Lachaise. Une ligne d’horizon avec comme point d’ancrage le 20e arrondissement. D’ailleurs, à l’école des garçons de la rue Sorbier, les petits écoliers sont formels : sortir de Paris : « c’était aller à Dache, et dépasser la proche banlieue, partir pour Santa Merde ». A la sortie de l’école, l’arrêt bonbec est incontournable : des Mistral Gagnant (Renaud quand tu nous tiens) aux surprises à un franc enveloppées dans du papier journal. A la maison, l’appétit se fait moineau. En tout cas, surtout pas de cervelle, car « selon une tradition ouvrière, on ne mange pas l’outil de son travail ».

6tag_290415-183339Au 222, on est abonné au journal de la CGT, et certains principes ont des allures proverbiales : « Vote le plus rouge possible, cela rosira toujours ». Rue des Rigoles raconte les petits plaisirs d’un petit parigot sans tête de veau : les spectacles de Guignol aux Buttes-Chaumont, les séance de cinéma au Cocorico ou au Miami, quand le quartier comptait encore 35 salles de cinéma ! Les petits boulots à la foire du Trône, qui se tenait alors entre les colonnes de la place de la Nation – les tours en Rotor évoquent d’ailleurs une très belle scène des 400 Coups. Sans oublier les plans drague au rayon disques du Prisunic Pelleport.

Publié en 2002 et augmenté de textes inédits en 2013, Rue des Rigoles est une ode au Paris populaire de l’après-guerre, avec ses cafés « cocos » où seul le vin rouge est autorisé . Une plume à la Audiard qui rend hommage à cette gouaille parisienne très imagée.

Gérard Mordillat
Rue des Rigoles
Le Livre de Poche

Marché d’Aligre

En ce samedi midi, le ciel est d’une pureté cristalline mais le vent sibérien. Malgré un thermomètre qui affiche un mercure en-dessous de 0°, les habitants du quartier – et d’ailleurs – affluent vers le marché d’Aligre. A l’angle de la rue éponyme, de jeunes parents, emmitouflés dans de grosses doudounes, se faufilent avec leurs poussettes dans le défilé des trolleys. Tels des mini cosmonautes, des enfants s’intéressent au sort d’un chien modèle réduit qui grelotte dans les bras de sa maîtresse bling bling. Le vent s’engouffre entre les étals des marchands de quatre saisons, les “yallah” encourageant les chalands à faire le plein de pomelos. Sur les stands, les bonnets sontWP_20150304 de sortie et on se frotte les mains : la météo est de toutes les discussions, les “ça caille” semblant servir d’introduction.

On se bouscule au stand “soyons locavores” où radis noirs côtoient la poire de terre, cousine du topinambour qui fait parler d’elle. Juste à côté, au magasin “la petite affaire”, les habitués saluent Clara à la caisse, fidèle au poste depuis 40 WP_20150304 1ans. Sachets de madeleine en format XXL, barres chocolatées en offre éco… c’est le repère des produits en DLC. Près du marché couvert, un guitariste aux faux airs de crooner pousse la chansonnette à l’intention des promeneurs assis en terrasse – chacun se reflétant dans les Ray Ban de son voisin.

Dans les halles flotte l’odeur de viande rôtie. Un jeune couple bobo, qui étrenne bonnets colorés et hugg moletonnées, demande des conseils de cuisson au commerçant : “quand c’est noir, c’est cuit”, s’exclame-t-il. Sous une barre d’immeubles, le petit marché aux puces attire quelques curieux. Des chemises de nuit d’une autre époque flottent dans le vent et des romans de Danielle Steel des années 1980 attendent toujours acquéreurs. A l’horloge sonne les 13h, marquant le début de la faim.

Place d’Aligre (entre le faubourg Saint-Antoine et la rue de Charenton)
Métro Ledru-Rollin (ligne 8)
Tlj. (sauf le lun.) 9h-13h, 16h-19h30